Périple taurin, jour 2 : Puerto de la Calderilla…

Passée la désillusion mirobriguense de la veille, puis la découverte de la magnifique ville de Salamanque, capitale européenne de la culture en 2002, direction la Route des Toros. Notre première visite, recommandée par Virginie et Naïs de l’agence Andalucia Aficion nous conduira à la Finca « Puerto de la Calderilla » fief de Moises Fraile Martin qui y fait paitre son bétail depuis 1987 et la création de la Ganaderia El Pilar.

Sur la route qui nous mène de Salamanque, où nous logeons, jusqu’à la finca, des paysages vallonnés et verdoyants nous laissent apercevoir pâturer du bétail brave, mais aussi du manso, pour la viande, et de nombreux ovins de race manchega, le tout sous une température printanière inédite en la période.

Au kilomètre 28 depuis Salamanque vers Tamames, se trouve l’intersection entre les Carreteras CL-512 et SA-210 et le pueblo Vecinos. Si vous prenez sur la droite en direction de Matilla de los Caños del Rio vous rencontrerez la finca « Galleguillos » où est élevé le bétail de la ganaderia Hoyo de la Gitana, d’encaste Santa Coloma – Graciliano Perez Tabernero… Si vous optez pour la route se trouvant sur votre gauche vous filerez alors tout droit vers la propriété « LLen » où Jose Ignacio Charro Sanchez-Tabernero élève du bétail de pure origine Atanasio Fernandez, sous deux fers distincts. L’un sous son nom, l’autre sous l’appellation « Charro de Llen ».

En avance sur l’horaire prévu, nous nous arrêtons dans Tamames. Une sorte d’arrêt au stand. La panse vide, le ravitaillement des troupes nous parait opportun. Halte donc au « Bar Sindical » pour un desayuno des plus copieux, et comme toujours peu cher… Café con leche, zumo de naranja et deux sacrées rations de tortilla et de queso manchego. Un coca-cola pour étancher la soif, fuyant du regard pinchos, oreilles de cochon grillées boquerones… Il est temps de tourner les talons et de rejoindre Sergio qui nous attend pour la visite.

Après cinq petits kilomètres sur la DSA-230 qui relie Tamames à Tejeda y Segohuela, à gauche toute. C’est ici que débute notre visite : El Puerto de la Calderilla. Cinquante mètres plus en amont, tout au plus, se trouve la Ganaderia Puerto San Lorenzo, même famille.

La finca « Puerto de la Calderilla » est implantée au cœur d’un environnement naturel idéal, sur plus de 1300 hectares. Un privilège quant à la « cria » de bravo, quasiment à mi-chemin entre la Sierra de Francia et la Sierra de las Quilamas. Un panorama montueux, parsemé de milliers de chênes, de châtaigniers centenaires…

La famille Fraile est considérée à juste titre comme l’une des plus importantes familles ganadera du Campo Charro. Le grand père Juan Antonio Fraile d’abord, initia modestement la tradition du bravo, du côté de Mozarbez, mais c’est en 1958 que débute véritablement la grande histoire ganadera des Fraile, quand son fils Juan Luis et son épouse Maria Cascon se portent acquéreur d’un lot appartenant à Mercedes Flores Albarrán donnant ainsi naissance à la ganaderia Puerto San Lorenzo. Pendant plus de quinze années, les frères Fraile, Juan Luis, Nicolas, Lorenzo et Moises se partagent les responsabilités de l’élevage familial, en y rafraichissant régulièrement le sang d’origine par l’apport de vaches et sementales d’origine Infante de la Camara.

En 1976, les quatre frères ganaderos, contrariés par les résultats de leur troupeau, opèrent un revirement radical au sein du ganado, en éliminant tout le cheptel en place puis en le remplaçant par l’achat d’une grande partie du bétail de Lisardo Sanchez, de pure origine Atanasio Fernandez.

Dès lors, la renommée de la devise incarnat et jaune ne cesse de croitre, et ce jusqu’à la fin de l’indivision des quatre frères, en 1992. A présent, chaque membre du quatuor fraternel est à la tête de son propre élevage. Nicolas fonde le fer de Valdefresno, puis celui de Fraile Mazas en 1996. Juan Luis, qui avait fondé au milieu des années 70 avec Nicolas un second élevage à son nom, d’origine Santa Coloma – Graciliano, est désormais seul maitre à bord, jusqu’à son décès en 1999. Lorenzo lui, reste à la tête de la matrice, puis donne naissance à son deuxième fer en 1999, issue de la fraction familiale : La Ventana del Puerto. Moises, qui dirige depuis cinq ans son propre élevage sous le nom El Pilar récupère lui aussi une partie de la division et fonde un fer en son nom propre « Moises Fraile ».

Vous l’aurez donc compris, la Ganaderia El Pilar est donc née en 1987. Son nom fait référence à la vierge du Pilar, que l’on célèbre à Saragosse chaque 12 octobre, date à laquelle Moises Fraile vu le jour à Salamanca, en 1948. L’histoire voulue que Moises prenne pour épouse une dénommée Maria del Pilar. Union célébrée un 12 octobre, de laquelle naitra en 1975 une fille … Pilar.

La marque à feu semble s’apparenter au chiffre Pi, valeur 3.14. Celui-ci avec une barre supplémentaire au milieu, qui selon Sergio, notre guide, signifierait PI-M autrement dit Pilar y Moises. (Après quelques recherches vous pouvez trouver sur le site de la ganaderia El Pilar cette signification). L’autre fer de la maison est représenté par un fer à cheval surplombé d’un F qui laisse apparaitre les initiales du ganadero : MF.

Contrairement à la maison mère familiale, Moise Fraile fonde son cheptel sur la base d’animaux de l’élevage Aldeanueva acquit auprès du légendaire ganadero José Matias Bernardos « El Raboso » qui lui-même avait bâti son ganado, avec du sang Juan Pedro Domecq via l’achat en 1968 d’animaux appartenant à Maria Antonio Fonseca. Le toro d’Aldeanueva détient une morphologie spécifique. Un animal sérieux, long, à la carcasse imposante, haut du garrot mais bas de postérieur, musclé, si bien qu’il n’était pas rare que ces derniers frôlent les 700 kilos.

Moises Fraile, peu convaincu par le gabarit hors normes de ses pupilles va chercher à en modifier le tamaño, optant pour un toro plus bas, plus harmonieux, plus équilibré et en cherchant l’alchimie parfaite entre la bravoure et la noblesse. Pour se faire, le ganadero salmantin va taper à la porte de la maison fondatrice des Aldeanueva de “Pepe Raboso” et de tant d’autres fers… Juan Pedro Domecq.

La sélection est d’une rigueur implacable. Moises Fraile aime à se considérer comme un ganadero de « olé », et concède aimer le toro brave, mais noble. L’objectif est de gagner le cœur et la confiance des trois protagonistes majeurs du toreo : torero, aficionado et empresa autour de trois critères principaux : persévérance, constance et travail. Moises Fraile est en quête d’un toro qui allie la promptitude, la résistance et d’un animal qui humilie, par le bas, avec émotion. Rapidement le nouveau départ opéré sur les bêtes du Puerto de la Calderilla convainc Moises Fraile et porte ses fruits : toutes les figuras d’hier et d’aujourd’hui élisent « El Pilar » comme l’un des fers de référence. Du Nino de la Capea, jusqu’à Jose Tomas en passant par El Cid, Jose Maria Manzanares, Sebastian Castella, Miguel Angel PereraAndres Roca Rey, toutes les vedettes des vingt dernières années ont triomphé devant les toros de l’élevage salmantin.

Moise Fraile (Photographie Javier Bustamante)

Une matrice encore à l’ordre du jour en 2020. En parallèle, Moise Fraile élève de front, substantiellement, une soixantaine de bêtes d’origine Atanasio-Lisardo, de la maison mère du Puerto San Lorenzo.

C’est avec ce lot là que nous entamerons une visite de près de trois heures, après un rapide passage par les installations inhérentes au travail quotidien : corrales, embarcadère, couloir de soin, sans oublier la fameuse « caisse » où l’on appose les désormais incontournables fundas.

Découverte donc des mères et du semental d’origine Atanasio-Lisardo dont les cercados font face à un lot de toros au tamaño conséquent, qui prennent le soleil paisiblement, de l’autre côté du chemin, chez le Puerto de San Lorenzo. Là au cœur, d’un habitat splendide adossé à la Sierra de Francia, paissent vaches et anojos de quelques jours, de quelques heures pour certains. Le calme et la nature sont une véritable merveille…

La visite se poursuit par la découverte des toros de la saison, du garismo 6, donc âgés de quatre ans et qui devrait être combattus durant la saison. Certains prennent un bain de soleil, d’autre ruminent à l’ombre des chênes, pendant que d’autres arborent fièrement leur musculature. J’avoue ne plus savoir où donner de la tête. Abondance de biens ne nuit pas …

Passons désormais au dernier lot de toros, majoritairement âgé de cinq ans. Impressionnants de sérieux. De véritables estampes, dont certains devaient voir leurs destins se jouer sur le sable de Las Ventas, avant l’apparition du Coronamachin… enfin vous savez…

Sergio prend son temps, afin de nous trouver le meilleur angle possible, Canon autour du coup, dans l’espoir de ramener dans les valises de précieux clichés…Le cadre est fastueux, le calme et la placidité qui émanent de ses somptueuses créatures invitent à l’admiration…

Plus de trois heures de visite, quel plaisir. J’avoue avoir eu peur de tomber dans l’excès de tourisme taurin, car celui-ci existe bel et bien. Il en va de payer sa visite, cela va de soi. La chose s’est semble-t-il considérablement développée, et l’on ne visite pas de telles ganaderias, sans contrepartie financière. Mais, en toute honnêteté pour l’aficionado amoureux du campo que je suis, le jeu en vaut la chandelle. Notre chance ce jour est de n’avoir été que deux et d’avoir profité d’un quasi privilège…

Qu’il soit de France ou d’Espagne, je quitte toujours un campo, des étoiles plein les yeux et en quittant le Puerto de la Calderilla nous sommes encore fascinés par la découverte de cette ganaderia à la devise verte et blanche…Sur le chemin nous croisons un groupe d’aficionados nîmois qui viennent eux aussi en prendre plein la vue, à coup sûr ils vont se régaler…

Notre journée s’achève dans la Sierra de Francia, précisément à La Alberca, premier village rural espagnol à être classé monument historique national. Près de la Plaza Mayor, se trouve la magnifique Iglesia de la Asunción édifiée au XVIIIème siècle. Une vrai belle découverte. Dans les rues pavées de La Alberca vous trouverez de nombreux commerces, de quoi vous laissez tenter par quelques rations du délicieux Jamon Guijuelo… A la sortie de la ville, sur la route qui vous conduit au splendide village de Mogarraz, vous pourrez admirer la sublime Ermita de Nuestra Señora de Majadas Viejas…

La tête pleine de souvenirs, nous regagnons Salamanque pleinement revigorés après notre déconvenue de la veille. Demain nous prenons la direction de la Moral del Castro à la rencontre de Rafael Pelaez, propriétaire de l’une des plus anciennes ganaderias du Campo Charro : Lamamie de Clairac…

A suivre…

Lire ou relire l’étape une de notre périple taurin ==> http://www.sol-y-sombra.fr/periple-taurin-ciudad-rodrigo-espoirs-et-desillusion/

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