Au sortir d’un tentadero à Las Tiesas, fief de Victorino Martin, Clement Dubecq “Clemente” a eu la gentillesse de m’accorder un entretien afin de faire le point sur son état d’esprit, ses sensations après un premier triomphe à Gamarde avant de retrouver les toros porteurs du A couronné ce lundi 10 avril dans les arènes d’Arles…

Sol y Sombra : Bonjour Clément, tu sors d’un tentadero chez Victorino Martin il y a quelques heures seulement, comment c’est passée cette matinée ? 

Clemente : Oui, j‘ai eu le plaisir de pouvoir prendre le pouls de cette course avec deux vaches très différentes mais complètement dans le style Victorino. Une qui réfléchissait beaucoup, très exigeante et devant laquelle il ne fallait pas se tromper. Et une autre de beaucoup plus de classe, avec énormément de moteur et avec laquelle j’ai pu toréer en donnant de la profondeur aux muletazos, en toréant par le bas. Deux styles d’oppositions bien distinctes mais qui m’ont conforté dans la manière d’aborder ces toros.  

Sol y Sombra: Ce ne sera que la 10eme corrida de ta carrière, déjà la deuxième de Victorino Martin. Comment l’abordes-tu ?  

Clemente : Responsabilisé, mais pas sous pression ! L’avantage c’est d’avoir déjà toréé une corrida de ce fer. (Aux Saintes-Maries-de-la-Mer). Je ne dirai pas qu’elle a été la plus simple, mais elle n’a pas non plus été la plus difficile et j’ai la sensation de savoir plutôt bien analyser ce type de toro. C’est un toro qui impose le respect et il faudra être à la hauteur de ce grand élevage. Je viens avec beaucoup d’ambitions car le toro de Victorino Martin est je pense un toro qui me correspond bien. Lorsqu’il charge au ralenti, un peu comme le toro mexicain, je peux laisser parler mon inspiration. Pour autant je ne viens pas avec la faena parfaite en tête, mais je sais que si le toro me le permet il peut se passer quelque chose de grand.  

Sol y Sombra : Cette embestida mexicaine justement, tu as pu te familiariser avec puisque tu as passé de longues semaines au Mexique… 

Clemente : Grâce à Diego Ventura que j’ai eu la chance d’accompagner, j’ai pu toréer pas mal de bétail au campo, et notamment beaucoup de vieilles vaches déjà tientées. Ce qu’il y a de bien c’est que ces vaches-là ont été très exigeantes, avec des comportements et des charges très typées Victorino. Le toro mexicain à cette nécessité que le torero lui place la muleta quasiment au niveau des yeux, en lui touchant le museau. Le toro de Victorino Martin c’est pareil. Même le toro dur. Je ne crois pas avoir perdu mon temps en passant autant de temps au Mexique.  

Sol y Sombra : Et visiblement, cette préparation très intense porte ses fruits puisque tu as triomphé à Gamarde pour la première corrida de la saison. 

Clemente : J’ai eu c’est vrai une préparation assez intense cet hiver, mais j’ai fait très attention à mon état de forme. Je pense être bien préparé et j’ai pu prendre beaucoup de plaisir au cours de cette première corrida. C’est une course pour laquelle j’arrivais avec moins de pression que l’année dernière, car je n’avais pas ces deux années blanches derrière moi. Pour autant j’ai pris ce rendez-vous très au sérieux d’une part car c’est une arène qui me tenait à cœur du fait la confiance qui m’avait été accordée en 2022, mais aussi car Gamarde est aux portes de Dax, Mont-de-Marsan notamment. 

Sol y Sombra : Tu as pu confirmer toutes bonnes choses vues lors de la temporada 2022… 

Clemente : Tauromachiquement parlant je pense être dans une bonne dynamique car j’arrive à m’exprimer et a faire sortir les choses telles que je les sens. A Gamarde, je n’ai pas touché un lot extraordinaire, pas spécialement pour briller mais je me suis senti très à l’aise devant mes deux toros. Devant mon premier, qui perdait beaucoup les mains, j’ai fait les choses avec sérieux et sang-froid même si les aficionados ne sont jamais vraiment entrés en connexion avec la faena. Mon second était faible aussi, et beaucoup de spectateurs demandaient d’abréger. Au final en gardant confiance en moi, je me suis laissé aller a toréer comme je le sentais et j’ai pu, je pense, signer une faena importante.   

Sol y Sombra : Trois ans plus tôt, en 2019 tu n’as qu’une seule cartouche, Saint-Sever, sans aucune garantie derrière… 

Clémente : Ça été une période difficile c’est vrai. Je sortais de deux années sans avoir mis le costume mais je pense avoir été bien devant les toros, même si je pinche un grand triomphe à l’épée. Beaucoup de professionnels ont vu ce que j’avais dans le ventre et cela m’a conforté en me disant que me voir à ce niveau après deux ans d’arrêt donnerais aux aficionados et aux professionnels l’envie de me revoir. 

Sol y Sombra : Puis viens la pandémie, une blessure assez sérieuse au campo… Tu ne te dis pas à ce moment-là que ta chance est peut-être passée ?  

Clemente : La pandémie a été une période très compliquée, pas seulement pour moi mais pour le monde entier. En fait je me suis rapidement posé les bonnes questions et surtout, je crois avoir très vite trouvé les bonnes réponses. Je me suis persuadé qu’il fallait continuer à s’entrainer, prendre du plaisir en faisant du sport, du toreo de salon en gardant à l’esprit qu’une opportunité finirai par arriver et que je saurai la saisir. A la sortie du confinement j’ai été invité pour toréer 8 toros de Yonnet dans une même journée. Les choses se sont très bien passées pour moi, grâce à cette rigueur que je m’impose et en ayant toujours gardé à l’esprit qu’il fallait être prêt. Ce jour-là il y a eu un déclic. Jean-Baptiste Jalabert et Roman Perez m’avaient vu face aux Yonnet et les portes du campo français se sont peu à peu réouvertes à moi. 

Sol y Sombra : Ne jamais rien lâcher en somme … 

Clemente : C’est un état d’esprit. Avoir la force d’y croire est primordial surtout dans cette profession. Cette course à Gamarde, sans cet état d’esprit, j’aurais pu quitter les arènes sans ne rien pouvoir montrer. Mais au final avec la volonté d’y croire il a pu se passer quelque chose de fort. Lorsque tu es sûr de toi, le toro te le rend, le public aussi évidemment. C’est une de mes forces. 

Sol y Sombra : Il y a le Clemente avec ce corte artistique très personnel, mais l’an passé les aficionados ont pu découvrir un Clemente davantage lidiador… 

Clemente : Aux Saintes et à Istres notamment oui. Devant mon premier Victorino Martin par exemple devant lequel il a fallu que je sois patient, lidiador, en conduisant bien le toro qui finalement sur trois séries me l’a bien rendu et j’ai pu aller chercher une oreille. A Istres aussi, avec du vent et ce premier Valverde très compliqué qui donnait la sensation de pouvoir me prendre sur chaque muletazo. Une fois encore, en ne cessant d’y croire je suis allé glaner cette oreille à laquelle personne ne croyait. Je crois que cela a été ma force toute la temporada passée et ce le sera cette année encore. 

Sol y Sombra : En définitive, des faenas en deux temps. Un temps pour le toro et l’autre pour le torero… Un peu à contre-style au départ, mais avec la force de faire basculer les choses du bon côté. 

C’est complètement cela ! Je pense que le fait d’avoir fait beaucoup de campo dans des ganaderias qui ne correspondaient spécifiquement au style de mon toreo m’a beaucoup aidé et préparé à ses problèmes là. En 2019 par exemple pour préparer la corrida de Saint-Sever je me suis énormément mis à l’épreuve devant le bétail d’Olivier Riboulet qui est très difficile, imposant, surtout au campo mais aussi ces 8 toros de Yonnet après la pandémie. Alors oui c’est un peu à contre-style mais cela m’a énormément apporté. Au fond de moi, je savais que j’étais capable de résoudre pas mal d’équations face aux toros mais j’avais ce besoin de me le prouver. J’avais besoin que le toro me dise “défends toi et montre l’étendue de tes capacités”. Cela m’a beaucoup servi l’an passé car j’ai pu le mettre en application, en me montrant lidiador, en gardant toujours à l’esprit que sur une ou deux tandas le toro me permettrait de toréer comme je le ressent.  

Sol y Sombra : Tu dégages beaucoup de sérénité dans tes propos comme dans ton toreo, pourtant tu n’es qu’au début de ta carrière… 

Clemente : Il faut savoir que la corrida de Victorino Martin à Arles sera seulement ma 10eme corrida ! C’est quelque chose que je travaille beaucoup. J’essaie de ne pas me mettre de pression négative. Aujourd’hui nous vivons dans une société qui aurait tendance à nous faire peur. Moi j’essaie de vivre avec ses peurs là et d’en faire une force. Je sais pourquoi je suis là, ou je veux être et comment je veux y arriver. Je suis d’un naturel optimiste, alors je cherche à ne voir que le positif. Aux Saintes et à Istres par exemple, j’ai à chaque fois touché au sorteo le toro que personne ne voulait. J’aurais pu me laisser influencer par tout cela, les superstitions des uns et des autres. Mais au contraire, je suis resté optimiste avec cette envie de prouver toro après toro et surtout de ne rien lâcher.   

Sol y Sombra : En résumé, peut-être que le torero éclos au moment où l’homme est à maturité … 

Clemente : Effectivement ! On ne peut pas dire que ce soit un caprice de petit garçon. Je suis resté assis pendant longtemps, j’ai beaucoup souffert et beaucoup pleuré. J’ai vu d’autres compañeros toréer, prendre des chemins différents. Mais je n’ai jamais abdiqué ! Qu’on le veuille ou non je ne suis pas là par hasard. Les expériences de la vie, le fait de m’être levé le matin pour aller travailler comme le commun des mortels, le fait de donner de la valeur à chaque chose de la vie ont fait qu’aujourd’hui je sais me sentir privilégié par ma profession. Et devant la tête du toro j’ai les idées beaucoup plus claires grâce à cela ! 

Sol y Sombra : Tu as déjà été annoncé dans plusieurs ferias, comment a été planifiée la temporada ? 

Clemente : La saison est plutôt importante ! Mais je préfère, comme mon apoderado, opter pour le qualitatif plutôt que le quantitatif. J’ai beaucoup de beaux rendez-vous. Je vais découvrir des cartels importants avec de grands compañeros, dans des arènes importantes. Des rendez-vous qui pourraient me permettre de m’ouvrir d’autres portes et donner un autre visage à mon avenir. Je crois que j’ai la bonne mentalité, j’ai cette envie de savourer l’instant, et saisir ces opportunités sans me mettre pour autant une pression inutile. Il y a une vraie responsabilité mais je suis fier d’être là, fier de le vivre car c’est ce pourquoi je me suis toujours battu, ce pourquoi je fais énormément de sacrifices. Mais on ne va pas se mentir, au jour d’aujourd’hui, la corrida d’Arles va être la clef qui m’ouvrira d’autres portes pour la suite de la temporada. 

Un grand merci à Clément pour le temps qu’il m’a accordé. Que la chance l’accompagne tout au long de la temporada et ce dès ce lundi à Arles. Suerte !

CURRICULUM VITAE

Clément Dubecq “CLEMENTE”, Né le 27 Février 1995 à Bordeaux

Débuts en novillada piquées :le 2 juin 2013 à Captieux, novillos de Vicente Ruiz, aux côtés de Roman et Posada de Maravillas

Présentation à Nîmes : le 6 juin 2014, novillo de Gonzalez Sanchez-Dalp aux côtés d’Alvaro Lorenzo et Jonathan Varea

Présentation à Madridle 1er mai 2015, novillo de Gonzalez Sanchez-Dalp aux côtés de Juan Miguel et Alejandro Marcos

Alternative :le 29 juin 2016 à Zamora, toro “Rumbero”, nº 24, negro, 528 kilos de Sanchez Arjona, parrain Cayetano, témoin Lopez Simon

Présentation en Francele 23 juin 2019 à Saint-Sever, toros de Victoriano del Rio aux côtés de Sebastien Castella et Thomas Dufau

Apoderado : Roman Perez

LES RENDEZ-VOUS DE CLEMENTE EN 2023

Lundi 10 avril, Arles, toros de Victorino Martin aux côtés de Jose Garrido et Leo Valadez

Samedi 17 juin, Istres, toros de Jandilla aux côtés de Miguel Angel Perera et Juan Leal

Samedi 24 juin, La Brède, toros de Margé aux côtés de Dorian Canton et El Rafi

Samedi 22 juillet, Mont-de-Marsan, toros de La Quinta aux côtés de Daniel Luque et Emilio de Justo

Dimanche 6 aout, Les Saintes Maries de la Mer, toros de Adolfo Martin aux côtés de El Rafi, mano a mano

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