Passée la commotion « Morantissime » à laquelle la planète toro tout entière a été, bien malgré elle, soumise, impossible de passer sous silence la retirada — définitive et annoncée — d’un autre véritable torero de Madrid : Fernando Robleño.

Sous le ciel clair-obscur de cet historique Día de la Hispanidad, Fernando Robleño a fermé le livre d’une carrière longue de vingt-cinq années. Une trajectoire tissée de courage, d’abnégation et d’un respect indéfectible pour la vérité la plus absolue — et souvent abrupte — du toreo. Ce jour-là, Las Ventas, sa maison, a rendu hommage à l’un de ses enfants les plus fidèles : un torero de substance, de ceux qui ont bâti leur légende loin des modes, sur les pierres du sacrifice et de la dignité.

Fernando Robleño a été, et restera, un torero de Madrid, un torero du peuple et de la vérité. Son nom restera gravé entre les pierres d’une plaza où il a livré d’innombrables combats face aux ganaderías les plus redoutées du campo bravo : Escolar Gil, Adolfo Martín, Victorino Martín, Cuadri, Dolores Aguirre ou Palha, entre autres fers que peu osent affronter, et qui furent pour lui, année après année, des adversaires de taille et le miroir scintillant de sa bravoure.

Il fut aussi un torero de France, et plus particulièrement de Céret. Aux pieds du Vallespir, dans cette arène austère et passionnée où il régna en seigneur. Pendant un quart de siècle, son nom figura presque chaque année sur les affiches de la redoutable feria catalane, comme une promesse d’émotion brute et de vérité. Là-bas, Fernando Robleño fut plus qu’un matador : il fut un repère, un symbole, une fidélité.

Mais c’est bien à Madrid que son histoire a pris des dimensions épiques. On se souvient notamment de ses deux sorties en triomphe par la Grande Porte, en 2002 : le 21 avril d’abord, avec une oreille glanée à chacun de ses combats face aux toros du Conde de la Maza ; puis le 13 octobre, en coupant les deux oreilles de Molesto, de Victorino Martín. Ce triomphe reste comme le sceau de sa carrière : celui d’un torero authentique, sans artifices, forgé par la sueur et ce sens inné du sacrifice.

Ce dimanche encore pour ce qui restera la 452eme et dernière corrida de sa carrière. La 55eme du nom à Las Ventas. Face à “Tropical”, le cinquième toro de Garcigrande, élevage qu’il affrontait pour la première fois de sa carrière, Fernando Robleño a retrouvé l’essence de ce qu’il a toujours été : un torero capable de soulever les gradins de Las Ventas par la seule pureté de son toreo. Sa faena, d’une grande profondeur et d’une sincérité bouleversante, a résonné dans le cratère madrilène comme un écho à toutes celles qui l’avaient précédée. Les naturelles, amples, profondes et graves, ont eu cette résonance rare que seuls ces toreros de vérité savent faire entendre. Mais, hélas — fidèle malgré lui au destin qui l’a souvent accompagné —, l’épée est venue refermer la porte du triomphe.

Madrid, cependant, ne s’y est pas trompée. Son public — ce public exigeant qui ne pardonne rien et n’offre sa reconnaissance qu’à ceux qui donnent tout — lui a offert l’hommage qu’il méritait : salué seul à la fin du paseo, longuement ovationné, puis ému jusqu’aux larmes lorsque ses enfants sont venus en piste pour lui couper la coleta.

Dans le même après-midi, Morante de la Puebla faisait ses adieux inattendus, provoquant une ferveur déchaînée. Et tandis que la foule se pressait pour porter le génie andalou par la Grande Porte, une autre poignée d’aficionados — les siens, ceux de toujours, les élèves de l’école taurine de Madrid qu’il dirige — soulevait Fernando Robleño sur ses épaules pour le sortir, triomphalement, par la porte des cuadrillas. Une image forte, juste et symbolique : celle d’un maestro discret, respecté, porté par les siens, quittant Las Ventas comme il y est toujours entré — en homme vrai.

Deux adieux, deux destins.
L’un, flamboyant, imprévisible : celui d’un artiste inatteignable, incomparable.
L’autre, profond, silencieux : celui d’un combattant.

L’abrazo, chaleureux et empreint de respect et d’admiration que Morante et Robleño se donnèrent, résonne encore comme l’une des images les plus émouvantes de cet après-midi bouleversant.

Fernando Robleño s’en va, laissant derrière lui une empreinte indélébile — celle des toreros qui n’ont jamais triché, de ceux qui ont écrit la légende du courage dans la poussière et le sang.

Pierrick Charmasson. (Photo Plaza 1 / Alfredo Arevalo)

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