Matador de toros depuis 2016 et son alternative istréenne, le péruvien Joaquin Galdos se présentera ce dimanche matin à 11h30 dans les arènes de Nîmes où il confirmera l’alternative des mains de son compatriote Andres Roca Rey avec qui il partagera l’affiche pour la première fois en Europe. A quelques jours de la corrida la plus importante de sa temporada, Joaquin Galdos a eu l’amabilité de m’accorder un long entretien dans lequel il évoque bien entendu l’inévitable crise sanitaire, juge son évolution professionnelle, parle de ses ambitions, de sa vision sur l’avenir de la tauromachie, mais surtout de sa relation avec son ami et néanmoins concurrent de toujours Andres Roca Rey.

Sol y Sombra : Joaquin, cette année 2020 du fait la crise sanitaire mondiale, fut une période des plus compliquée. Pour toi ce fut doublement difficile car tu es aussi ganadero chez toi au Pérou ?

Joaquin Galdos :Ce fut une période très difficile, pour le torero que je suis car je dédie chaque jour de ma vie au toreo et cela depuis de longues années. Mais je m’implique aussi énormément dans l’élevage familial (Santa Rosa de Lima) même si je passe le plus clair de mon temps en Espagne, et c’est vrai que d’un côté comme de l’autre ce fut une véritable souffrance au quotidien. Les toreros, tous autant que nous sommes n’avons jamais connu pareille période, un arrêt aussi brutal. Ce n’est pas uniquement une question de ne pas toréer, mais c’est surtout de voir comment la tauromachie a pu être paralysée par cette crise, voir les ferias s’annuler les unes après les autres était quelque chose de très angoissant à vivre. C’est comme si l’on nous avait enlevé quelque part notre raison de vivre. Nous autres toreros, lorsque nous arrêtons de toréer nous devons trouver d’autres occupations, de nouveaux objectifs, mais lorsque nous sommes en activité c’est le toreo qui dicte 100% de notre vie… Se préparer, s’entrainer, échanger avec les compañeros…

Mais je dois dire que comme beaucoup de mes compagnons de cartel, cette période de trouble m’a permis de me retrouver, de prendre du recul. Au campo notamment où j’ai pu recentrer le maximum de choses autour de ma préparation physique et mentale afin d’être prêt comme si 15 corridas m’attendaient. Au final j’ai maintenu un niveau de préparation égal voir supérieur à l’habitude.

Joaquin Galdos à Saint-Martin-de-Crau, le 29 avril 2018, toro de Pedres (Photo Mickael Fortes)

SyS : Au final, tu as pu prendre part à six corridas en 2020, dont quatre en Espagne avec en quelques jours deux indultos à la clé ! *

JG : Ce fut une temporada vraiment particulière c’est vrai… Il n’y a pas eu de grandes ferias, mais quelque part je dois dire que je me suis senti récompensé par le toreo, par le toro pour tous les sacrifices et les efforts que j’ai consentis de faire durant la pandémie. J’ai eu la chance de croiser la route de deux très grands toros et même si cela s’est déroulé dans des arènes de 3eme catégorie, ces deux toros avaient une présentation digne de Madrid, sans problèmes. Ces toros étaient d’un tamaño anormal pour ce type d’arènes, mais ils se sont gagné la vie grâce à leur grande bravoure, leur classe et je suis bien entendu ravi d’avoir pu en être à la hauteur et faire partie de l’histoire de ces deux ganaderias historiques. J’ai ensuite puis pardonné la vie d’un autre grand toro en fin de temporada lors d’un festival dans les arènes de Latacunga en Equateur. Je suis fier de ce que j’ai pu réaliser car comme je te disais si je m’étais laissé emporter par le tourbillon de la pandémie, cessé de m’entrainer avec autant de sérieux et d’implication je serai certainement passé à côté de ces grands toros.

SyS : La tauromachie semble petit à petit reprendre un rythme « normal », quel regard portes-tu sur la temporada en cours ?

JG : C’est une temporada que je qualifierais de rare ! Je crois que la crise sanitaire a divisé la tauromachie en deux circuits bien distincts. Il y a le circuit des grandes arènes, des ferias importantes en Espagne avec des cartels qui sont majoritairement composés des 4 ou 5 principales figuras, dans les mêmes cartels, avec les même toros avec parfois 3 ou 4 noms « nouveaux ». Et il y a selon moi un second circuit qui correspond plus à la France et aux arènes de seconde catégorie en Espagne avec des cartels un peu plus originaux, des programmations plus ouvertes, plus toristes, avec davantage de variété dans ce qui est proposé. C’est dans ce type de corridas que l’on retrouve des toreros de « secunda fila », comme moi. Dans mon cas je m’efforce d’être à la hauteur de tous les rendez-vous auquel je suis convié, me donner à 100% et bien sûr triompher. Alors lorsque la normalité sera revenue, les toreros dans ma situation pourront briguer des postes dans des plazas de catégorie supérieure. Cette année je ne vais toréer qu’une seule fois dans une arène de première catégorie, ce sera à Nîmes ce qui constitue le rendez-vous le plus important de ma temporada. Être bien à Nîmes, y triompher me donnera les arguments pour entrer dans les plus grandes férias.

Joaquin Galdos à Saint-Martin-de-Crau, le 29 avril 2018, toro de Pedres (Photo Justine Messina)

SyS : Selon toi, que te manques-t-il pour pouvoir prétendre à entrer dans des cartels de plus grandes importance, dans des arènes où l’impact médiatique y est plus fort ?

JG : Plus de que tout il me manque LE jour ! Un triomphe dans une arène de grande répercussion comme Madrid, Séville, Bilbao pour ne citer que ces trois. Que ce jour-là, la chance soit de mon côté, que mon toro embiste, que l’épée rentre. A Séville le 1er Mai 2019, j’aurais pu connaitre un immense triomphe devant un toro de Torrestrella. Malheureusement j’ai pinché au moment de conclure et j’ai dû me contenter d’une vuelta. Ce jour-là, une bonne épée pouvait changer le cours de ma carrière. Je crois que c’est pour cette raison principalement que je ne fais encore partie du grand circuit. J’ai quand même connu de grands triomphes, en France notamment à Béziers et Bayonne où dans des arènes de seconde catégorie très sérieuses comme Ségovie récemment mais aussi dans de grandes affiches en arène de troisième. C’est ce circuit-là qui maintient vivant beaucoup de toreros dans mon cas. J’ai rencontré aussi beaucoup de succès chez moi au Pérou dans les arènes de Lima ou j’ai remporté le Escapulario de Oro face à mon compatriote Andres Roca Rey. Ce jour viendra ! A Nîmes j’en suis sûr!

Béziers, le 17 aout 2019, toro de Robert Margé (Photo Mickael Fortes)

SyS : Tu es considéré comme un torero solide, mature et capable d’affronter tous types d’élevages. D’ailleurs tu vas bientôt toréer les toros de Miuras…**

JG : Sincèrement, depuis que j’ai débuté ma carrière et que ce soit en sans picadors, en novillada piquée et maintenant comme matador, je me suis toujours efforcé d’affronter tous types de toros. En 2016 j’ai fini deuxième de l’escalafon des novilleros en variant les élevages et les encastes, notamment en France où j’ai toréé des Partido de Resina, La Quinta, Pedraza de Yeltes où Murteira Grave. Pour moi il est normal de varier et je n’ai jamais été fermé à l’inconnu. Ma carrière a toujours été orientée en ce sens et je crois que la situation actuelle de la tauromachie le nécessite. Il faut attirer l’attention. Et comme je disais, le circuit des grandes férias étant bouché alors il faut abonder dans le bon sens. Quelques jours avant Nîmes je vais affronter les toros de Miura pour la première fois à Aranda de Duero, et je crois que cela n’est pas commun pour un torero avec le parcours qui est le mien et le peu d’années d’alternative que je compte. Pour être franc, ni mon apoderado ni ma famille n’étaient pour que j’affronte les Miura. Moi j’en ai envie, je veux que l’on parle de moi comme d’un torero qui ose, qui ne s’enferme pas dans un corte bien défini !

SyS : Que représente pour toi le fait de toréer en France ?

JG : Comme beaucoup de toreros, j’ai une très grande affection pour la France, car ce pays m’a quasiment tout donné en tant que tel ! J’y ai été un novillero très important, j’y ai pris l’alternative il y a maintenant cinq ans. Comme je te disais, en 2015 j’ai terminé deuxième de l’escalafon des novilleros et je le dois en grande partie à la France car cette année-là j’ai toréé dans votre pays 15 de mes 34 novilladas et dans des arènes de grande importance dans cette catégorie comme Bayonne, Garlin, Vic-Fezensac, Dax, Roquefort, Hagetmau… Etre à Nîmes, qui est une arène parmi les plus importantes au monde m’enchante. Il y a un cartel très fort avec notamment mon compatriote Andres Roca Rey. Nous serons pour la première fois ensemble en Europe comme matadors, et El Rafi qui est nîmois et qui voudras aussi triompher. Les toros de Victoriano del Rio font rarement défaut et ne déçoivent que très rarement les aficionados. Tout est réuni pour vivre une grande matinée de toros.

Saint-Martin-de-Crau, le 29 avril 2019 (Photo Mickael Fortes)

SyS : Nîmes sera la 102eme corrida depuis que tu as pris l’alternative. Pourtant tu n’as croisé le fer qu’une seule fois avec Andres Roca Rey ***… Il se dit tout et son contraire sur vos relations. Qu’en est-il vraiment ?

JG : Il s’est dit beaucoup de choses c’est vrai, beaucoup trop de choses fausses ! En vérité, Andres et moi sommes amis depuis tout jeune. Il y a plus d’une quinzaine d’années que nous nous connaissons, que nous évoluons ensemble. Quand nous nous sommes connus, Andres était considéré au Pérou comme le petit prodige du toreo, et moi je n’étais alors qu’un simple aficionado. Andres venait souvent tienter chez nous, dans notre finca. Lui était le torero et moi simplement le fils du ganadero. Notre amitié est née et s’est renforcée ainsi. Je dois dire la vérité, c’est lui qui m’a réellement convaincu de m’essayer au toreo. Mon premier toreo de salon, ce fut avec Andres. Les premiers entrainements aussi. Je m’inspirais de lui, m’arrimais pour suivre son rythme de travail. En quelque sorte il était pour moi le modèle à suivre ! Le toreo est quelque chose qui fait peur, pour moi c’était comme basculer vers l’inconnu et c’est Andres qui en quelque sorte m’a ouvert la voie. Notre relation était très bonne. Ce qui a mis un peu de distance entre nous c’est lorsque nous nous sommes mesuré comme novilleros en mano a mano à Lima en 2014. Ce jour-là, j’ai triomphé, lui non et j’ai remporté le trophée du Escapulario de Oro. L’entourage d’Andres disait que je ne le méritais pas, le mien disait le contraire. Cela a jeté un froid entre nous. Nous avons tous les deux continué notre route dans la catégorie, et partagé plusieurs fois l’affiche ensemble avec de la compétencia, mais sans animosité particulière.

SyS : Et aujourd’hui ?

JG : Ca va très bien ! Finalement, la pandémie aura eu quelques effets positifs car Andres et moi avons pu nous retrouver. Dans le calme, loin de la pression et de la competencia que génère notre profession. Nous avons pu plusieurs fois nous rencontrer, s’assoir autour d’une table et d’un bon repas. Parler de tout, rire et profiter du bon temps que nous offrait finalement cette crise sanitaire. Aujourd’hui je dois dire que notre relation est merveilleuse. En définitive, il y a toujours eu beaucoup d’affection entre nous et nous nous sommes rendu compte que ce qui a distendu nos rapports, ce sont des choses de toreros, et non d’hommes à proprement parler. Certains dirons « Andres est le meilleur » et d’autre ‘Non Joaquin est meilleur », c’est ainsi, mais à présent nous savons que tout cela ne doit pas franchir la barrière personnelle, ne doit pas altérer notre amitié. Nous nous sommes connus enfant, connus quelques travers comme je te disais, mais aujourd’hui nous avons muris et avons retrouvé notre entente.

Béziers, le 17 aout 2019, toro de Robert Margé (Photo Mickael Fortes)

SyS :Retrouver deux toreros péruviens dans un même cartel, pour la première fois en Europe doit rendre fiers vos compatriotes

JG :Tu n’imagines pas à quel point ! C’est un rendez-vous extraordinaire pour notre pays, historique même ! Comme lorsque nous étions tous les deux annoncés la même année pour la San Isidro. Ce qu’a accompli Andres dans le toreo jusqu’à présent est unique pour le Pérou. Les péruviens sont très enthousiastes et suivent nos parcours respectifs. Par exemple je suis le premier péruvien a m’annoncer face aux toros de Miura. Etre tous les deux pour la première fois dans un même cartel en Europe, dans une arène comme Nîmes est quelque chose de gigantesque pour le peuple péruvien. J’espère que cette corrida sera télévisée, et  je suis persuadé  que des centaines de péruviens traverseront l’Atlantique pour venir assister à cette corrida. Cette affiche j’en suis sûr va générer beaucoup d’intérêt, non seulement pour nos compatriotes mais pour la tauromachie en général qui a besoin de se régénérer. Nous voudrons triompher tous les deux. Andres ne me fera pas de cadeaux, mais je ne lui en ferai pas non plus car il y aura de la compétencia, mais toujours dans le respect de l’autre. En vérité, ce que j’espère profondément c’est que nous ayons la chance que les toros nous permettent de triompher. Imagine-toi une photo d’Andres et moi sortant à hombros des arènes de Nîmes ! Ce serait quelque chose d’exceptionnel ! Cela pourrait permettre que cette competencia entre nous deux s’étendent dans d’autres plazas de France, d’Espagne mais aussi d’Amérique-du-Sud et bien sûr chez nous au Pérou. Nous sommes deux toreros distincts et justement, c’est ce qui peut faire la richesse de nos prochains rendez-vous.

SyS : Déjà très mal embarquée, la tauromachie a subi de plein fouet la crise sanitaire. Comment imagines-tu l’avenir ?

JG :Sincèrement, je le vois avec beaucoup d’incertitudes. Pour l’heure j’essaie de vivre tout ce que je peux comme torero car nous n’avons qu’une seule jeunesse. La tauromachie est tout ce que j’aime, c’est à la tauromachie que j’ai dédié la majeure partie de ma vie et 100% de mon temps aujourd’hui. Je veux profiter au maximum car je ne sais pas de quoi demain sera fait. Véritablement, je pense que la tauromachie doit prendre rapidement un virage important et en premier lieu en ce qui concerne la confection de cartels. Je ne sais pas comment, mais il faut que les ferias, que celles-ci soient grandes ou petites comportent davantage d’intérêts. Il est fondamental d’attirer à nouveau du public aux arènes, non seulement ceux qui ont déserté les tendidos mais aussi un nouveau public qui va venir régénérer l’aficion. Il faut donner de la vie à la fiesta brava. Il faut dire ce qui est, ces dernières années sont guidées par la monotonie. Dernièrement par exemple, Morante de la Puebla s’est annoncé face à six Prieto de la Cal. Quel que soit le résultat artistique de la course, c’est une affiche qui est diamétralement différente des autres, qui génère de l’intérêt, la preuve c’est qu’en quelques jours seulement tous les billets ont été vendus. Le mano a mano Talavante – Roca Rey à Arles aussi où Roca Rey face aux toros d’Adolfo Martin lors de la dernière San Isidro… Il est fondamental de faire naitre de la competencia entre les toreros, programmer des élevages différents. Il faut insuffler au toreo ce vent de fraicheur plus que jamais nécessaire. Beaucoup de jeune toreros ont le potentiel pour devenir figuras del toreo, encore faut-il les programmer… Mettre dans une même affiche une figura, un torero émergent et un jeune apporterait davantage d’intérêt pour l’aficionado, d’autant plus avec la crise sanitaire mondiale que nous vivons.il n’y a que de cette façon que la tauromachie pourra durer et en sortir grandi. Depuis de trop longues années, le public va voir les mêmes toreros face aux mêmes ganaderias, les mêmes faenas. Le facteur surprise dans ce cas n’existe plus, hors il est capital. Si la tauromachie ne se renouvelle pas, alors c’est la mort assurée dans moins d’une dizaine d’années.

(Photo Justine Messina)

*Joaquin Galdos a gracié le toro « Alambrisco » n°134 de la Ganaderia El Pilar le 24 aout 2020 dans les arènes d’Astorga puis le toro « Jibelino » n°23 de la Ganaderia Conde de Mayalde le 5 septembre 2020 dans les arènes de Valdepeñas.

**Dimanche 12 septembre 2021 à Aranda de Duero, toros de Miura pour Manuel Escribano, Esau Fernandez et Joaquin Galdos, premier torero péruvien de l’histoire face aux toros de Zahariche.

***Le 5 novembre 2017 à Lima, toros de Daniel Ruiz pour Enrique Ponce (ovation et applaudissements) Andres Roca Rey (oreille et applaudissements) Joaquin Galdos (oreille et deux oreilles).

JOAQUIN GALDOS EN DETAIL

Joaquin Galdos Moreno, né le 1er septembre 1995 à Lima (Pérou)

Débuts en novillada piquée : le 17 aout 2014 à Malaga, novillos de Fuente Rey aux côtés de Fernando Rey et Ginés Marín

Présentation en France : le 24 aout 2014 à Saint-Gilles, novillos de Blohorn aux côtés de Francisco Jose Espada et Louis Husson (4 oreilles).

Présentation à Madrid: le 25 mai 2015, novillos de El Montecillo, aux côtés de Martín Escudero et Francisco José Espada.

Présentation à Nîmes : le 17 septembre 2015, novillos de Los Chospes aux côtés de Lilian Ferrani, Louis Husson, Jose Ruiz Muñoz, Leo Valadez et Andy Younes.

Alternative : le 19 juin 2016 à Istres, toro « Buscagna » , n° 25, 535 kg né en juin 2011 de la Ganaderia El Pilar, parrain Jose Maria Manzanares, témoin Lopez Simon.

Confirmation d’alternative à Lima : le 20 novembre 2016, toros de Zalduendo en mano a mano avec Alberto Lopez Simon.

Confirmation d’alternative à Madrid: le 30 mai 2017, toro « Esbelto » né en février 2012, 526 kg de Juan Pedro Domecq, parrain Jose Maria Manzanares, témoin Cayetano.

Apoderado : Julian Guerra

Temporada 2021 : 6 corridas, 15 oreilles et 1 queue coupée, 1 indulto.

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