A 20h35, le genou traversé de part en part, la cuisse meurtrie et aux cris de « Torero, Torero », Clémente est sorti du Plumaçon, la mâchoire serrée mais le cœur empli de chaleur. Celle de 7000 spectateurs, témoins de ce qui sera probablement LA faena de la Feria, l’un des plus belles, et des plus enivrantes des 10 dernières années à Mont-de ! Une de ses faenas, que l’on imaginerait volontiers signée de la main d’un Morante, mais qui est en fait est , l’œuvre d’un blond torero de Pouillon qui, en pleine évolution devrait voir sa carrière prendre un coup de fouet spectaculaire. Il le mérite. Une faena, intensive, chamarré de toreria, de duende, aussi subtile qu’imparfaite mais dont les gestes sont tous un à un exécutés avec la perfection d’une inspiration extrême. Verticale et profonde, comme si les effluves gitanes, trianeras, étaient venues enivrer le Moun’. Trois largas cambiadas de rodillas dont une monumentale au centre, à l’entrée en piste de « Bodeguero », pas forcément le meilleur d’un lot assez décevant de La Quinta, mais celui avec le plus de tranco, astifino, bravito en deux rencontres, auparavant fixé par une demie de cartel. La muleta du bordelais n’exige pas, elle aimante et est, distinguée au possible. Sous les airs de la Concha Flamenca, derechazos superbes, trincherazo grandiose. Le Plumaçon bouillonne, Emilio de Justo vient de se sublimer, Clémente se surpasse et magnifie ! Je ne badinerais pas sur les mots, car les mots ne font peur qu’a ceux qui ne les prononce pas : Clemente vient de déboucher le flacon, on assiste à un véritable faenon ! Dans ces moments-là, chacun cherche, à tout rompre, à frapper des mains plus fort que son voisin, à hurler les olés et des biiieeen, bien andalous, a s’en écorcher la gorgée. Au moment où le rubio torero se profile, plein centre, que l’épée vient fendre le ciel montois, le Plumaçon retient son souffle, tous prions que le petit français termine de donner le bain à deux monstres de l’escalafon. La lame ne rentre pas, la corne du « cardeno claro », dans la chair du bordelais, elle oui. Le visage est meurtri. Deuxième essai, nouvel échec. Comme la taleguilla, bleue de France de Clément, le Plumaçon est en lambeaux. Une troisième lame, sincère vient envoyer ad patres le La Quinta. Une œuvre de « dos y rabo » vient de s’envoler. Un mouchoir tombe du balcon, il en vaut deux, trois. Clemente sort sous les hourras, sur ses deux pieds, blême, en torero, et au fond j’en suis sûr terriblement heureux. Qu’il revienne vite !

On se passera de rendre compte de son premier passage. Seulement quelques moments de bon toreo, par poncinas notamment, face à un insipide « Platanero », fin comme un zeste d’orange, soso malgré une bonne corne droite.

Emilio de Justo, l’autre belle histoire de la journée, s’est retrouvé. Au Plumaçon, une arène qui lui a tant donné, le torero de Caceres est d’abord passé à pas feutrés devant « Tonelero », cinq ans révolus, un animal dans le type de la maison qui a poussé au premier voyage. A la muleta, De Justo exploite sans réellement convaincre, la bonne corne droite du bicho. A gauche, l’affaire est moins fluide et le final est brouillon. Entière al encuentro.

L’affaire fut d’un tout autre calibre devant le quinto « Corchaito », le meilleur de l’envoi. Habité d’un esprit novilleril, l’extremeño s’en va cueillir l’arrivée du cornu a porta gayola puis par un capoteo de belle composition. Bonne poussée à la première rencontre, la deuxième pour le règlement. Brindis au public avant entame par rodillazos. Dans son traje aubergine, Emilio de Justo édite une partition vibrante de bout en bout, toréant avec élégance et profondeur un quadrupède noble, mais avec un fond de soseria, notamment à gauche et une transmission parfois limitée, meilleur à droite. Faena de grand son, l’orchestre montois comme De Justo se sublime. Grand final par naturelles de face, puis par le bas. Faena de grande musique, de « dos orejones » conclue par pinchazo puis lame contraire. Deux oreilles et vuelta au toro, légèrement protestée et à juste titre.

Daniel Luque est un véritable insolent de la muleta. Avec lui, il est souvent compliqué de déceler le facile du difficile, tant l’andalou semble ne jamais être en mesure d’être poussé dans ses retranchement. La muleta est fluide, elle pèse sur les toros, sans pour autant les obliger. Face à un premier « Famoso » qui n’avait rien de justement fameux, car atone, Daniel Luque comme souvent a surnagé. La faena manque de vibrations mais Luque compense par sa sabiduria torera. Final maison par luquecinas avant entière tombée. Oreille.

Son second « Arriero », placé loin à la pique, charge avec une certaine alegria, pousse brièvement à la première rencontre puis, peu à la seconde. Juan Contreras salue, et Ivan Garcia qui a fait de même au premier est d’une précision d’horloger à la brega. Le La Quinta fit illusion, mais çà fait pschitt. La faena est d’une grande justesse technique, mais l’émotion elle n’est pas là. On apprécie le savoir de Luque, mais c’est long et dénué de vibrations. L’espadazo est juste impressionnant, fulminant en une poignée de secondes. A lui seul il vaut l’oreille.

Par compañerismo, Daniel Luque et Emilio de Justo, avec pourtant le capital trophée nécessaire les y autorisant ne sont pas sortis par la grande porte.

FICHE TECHNIQUE DE LA CORRIDA

Arènes du Plumaçon, Mont-de-Marsan. Fêtes de la Madeleine. Llenazo. 6 toros de La Quinta.

Président : Denis Labarthe

Cavalerie Bonijol. 12 rencontres.

Vuelta al ruedo au 5eme « Corchaito » n°95, cardeno oscuro mulato né en décembre 2018.

Saluts des banderilleros Ivan Garcia au 1er et Juan Contreras au 4eme.

DANIEL LUQUE (vert impérial et azabache) : oreille après avis et oreilles après avis

EMILIO DE JUSTO (aubergine et or) : silence et deux oreilles

CLEMENTE (bleu de France et or) : silence et oreille après avis.

Compte rendu Pierrick Charmasson / Photos Philippe Gil Mir

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