Hier, sous le ciel couvert de La Misericordia de Saragosse, Javier Castaño a tourné la dernière page d’une longue carrière d’homme et de torero.
Dans une quasi-indifférence médiatique, le matador de Salamanque a dit adieu au toreo, se coupant la coleta — geste ô combien symbolique et chargé d’émotion — au terme de sa dernière corrida.
Un geste simple, discret et puissant à la fois, à l’image d’une trajectoire faite d’humilité, de courage et d’abnégation.

Il fut pourtant, il y a encore une dizaine d’années, l’un des grands noms des corridas dites “dures”, ces affrontements où se mesure la vérité la plus brute de la tauromachie.
Castaño s’était forgé dans la province de Salamanque, au contact des ganaderías les plus exigeantes et prestigieuses.
Novillero prometteur, il suscita de grands espoirs au point d’ouvrir en grand la Porte Principale de Las Ventas, deux oreilles d’un novillo d’El Torreón en main, laissant sur le carreau Víctor de la Serna et Sébastien Castella.
Il connut ensuite un début de carrière marqué par plusieurs triomphes d’intérêt — avec notamment 39 corridas toréées l’année de son alternative, prise à Saint-Sébastien des mains d’Enrique Ponce, en présence d’El Juli, face au toro Entrador de Santiago Domecq — avant de traverser des périodes plus compliquées.

Son salut, il le trouva dans le défi et la difficulté, dans ces arènes où certains mettent la jambe là où d’autres n’osent pas poser la muleta.
Les toros de Miura, notamment, lui ouvrirent la voie d’une reconnaissance profonde.
À Nîmes, il laissa face aux diables de Zahariche une empreinte indélébile :
d’abord lors de sa présentation triomphale du 15 septembre 2011, où après avoir effectué une vuelta avec le toro de sa confirmation, le Salmantin offrit une faena mémorable devant un grand “Datilero“, le sixième toro, qu’il déposséda de ses deux oreilles.
Puis, lors de son solo historique du 26 mai 2012, seul contre six toros de cette même ganadería légendaire. “Lengueto” n°59, «Matabuey» n°44, «Malospelos» n°58, «Verrudo» n°27, «Riverno» n°23 et «Volador» n°30. Six combats de titan, six.
Un après-midi d’anthologie, gravé dans la mémoire des heureux présents.

Castaño, c’était le courage tranquille et la force intérieure, l’élégance d’un homme qui ne cherchait pas la lumière pour lui seul.
La gloire, il la partagea souvent avec sa cuadrilla : Tito Sandoval à cheval, Marco Galán, David Adalid et Fernando Sánchez à pied, cape et pallitroques en main— un groupe d’exception qui brilla parfois jusqu’à éclipser son maestro.
Mais Javier Castaño, d’une humilité rare, savait que le succès, même en tauromachie, est souvent l’œuvre d’un collectif.

Puis vint l’épreuve de la maladie.
Un cancer des testicules qu’il affronta avec bravoure et dignité.
On se souvient de ce 17 avril 2016 et de son retour à Séville, après quatre mois de lutte et une victoire sur la maladie.
La chevelure emportée par la chimiothérapie, il salua le public, droit, digne.
Sans plainte ni pitié : en torero.
Avec pour seule ligne de conduite le respect du combat, celui de l’arène comme celui de la vie.

Ces dernières années, Javier Castaño toréait moins.
Son frère Damián avait pris le relais des Castaño, sans jamais éclipser le prestige de l’aîné.
Et hier, dans une arène à moitié remplie, le silence accompagna ses adieux pour sa 391eme et dernière corrida, comme un écho à sa manière d’être : sobre, digne, et authentique.

Javier Castaño n’aura jamais cherché les feux des projecteurs, mais il laisse derrière lui une trace profonde dans la mémoire des aficionados.
Celle d’un torero vrai, forgé par le combat, le don de soi, la fierté et le respect.

Parce qu’au fond, il n’y a pas de petits adieux pour les grands hommes.

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