Borja Domecq Solis n’est plus… happé par ce satané Covid-19 qui fait des ravages un peu partout dans le monde, ajouté à une santé des plus fragiles ses dernières années, le célèbre ganadero de 75 ans s’en est allé ce lundi 23 mars 2020.

Réside désormais au paradis des plus grands « criadores de toros », l’un des derniers enchanteurs, un maître prestidigitateur dans l’art du dosage, de l’équilibre du toro bravo : bravoure, noblesse et caste. Cette caste pure, qui le différenciait, sans toutefois les blâmer, de ses frères Juan Pedro et Fernando, propriétaires des fers de Juan Pedro Domecq et Zalduendo.

En 1978, Fernando Domecq Solis acquiert le fer et le troupeau appartenant à Enriqueta et Serafina Moreno de la Cova. Les bêtes, de pur-sang Saltillo sont éliminées en totalité. Ne subsiste alors que le devise et le célèbre fer représentant l’étoile aux « seis puntas ». La ganaderia prend alors le nom de « Jandilla », la finca familiale où paissent désormais des animaux acquis par la division de l’élevage familial Juan Pedro Domecq.

Fer de Jandilla

En 1987, l’élevage est scindé en deux. Fernando en conservera une partie, placée dès lors sous le fer de Zalduendo. La majeure partie du troupeau qui revient à Borja Domecq, reste à la finca familiale et garde le nom de Jandilla.

En 2002, à la suite d’un complexe partage de l’héritage familial, Borja quitte la finca historique avec soixante-dix pour cent du cheptel et installe son troupeau sur les terres des Fincas Don Tello, à Merida et Los Quintos, à Llerena. La même année, Borja Domecq crée un deuxième élevage, Vegahermosa dont le fer rappellera aux amoureux d’automobiles allemandes, la marque de Mercedes. Ce nouveau fer, destiné à son fils Borja, est de même origine que celui de Jandilla et mené de front sur les mêmes propriétés.

Fer de Vegahermosa

Si la ligne morphologique reste fidèle aux origines familiales, le toro de Borja « dénote » de ses cousins Domecq par un accent mis sur la bravoure, la mobilité et la caste, et non sur la seule noblesse. Bien que globalement irrégulière dans un premier temps, la devise bleue attire les aficionados les plus pointilleux par ses toros de caractère.

En somme, du Domecq pas comme les autres, avec de la caste. Cette caste, chère au cœur de Don Borja, fut sa ligne directrice, le fil rouge durant trois décennies de « crianza ». Une expertise et un savoir-faire aujourd’hui entre les mains de son fils Borja. Preuve s’il en faut, peu de figuras prirent Jandilla comme compagnon de route durant de longues et monotones temporadas à l’eau de rose.

Ses dix dernières années, un grand nombre d’exemplaires portant les fers de Jandilla et Vegahermosa se sont brillement distingués par leur noblesse, leur bravoure et leur caste.

Citons par exemple une faena pleine de vérité et de panache du regretté Ivan Fandiño en aout 2013 à Bilbao face à un toro de respect, ardent et caractériel.

Plus récemment, en 2017, le 26 mai durant la San Isidro madrilène, c’est “Hébrea” qui marqua les esprits. Numéro 94 sur les flancs, né en décembre 2012, et affichant 527 kilos sur la romaine Hebrea se démarque très vite par sa pugnacité, cette caste vive et ses charges inébranlables dont Sébastien Castella tira la quintessence. Vuelta al ruedo pour Hebrea et oreille pour le maestro français, hélas trahi par une épée défaillante.

Hebrea, Madrid, San Isidro 2017 (photo A.Moore)

Toujours en 2017, en clôture de la Feria de Vendanges nîmoise, “Pañero”, du second fer de la maison, fut d’une caste incroyable, que Jose Garrido est son jeune bagage ne surent que trop peu canaliser. Un grand toro de vuelta, honoré du mouchoir orange, celui-ci glissant d’un palco présidentiel généreux.

Pañero, Nimes 2017

En 2018, Borja Domecq et ses fers de Jandilla et Vegahermosa débutent l’année par un grand lot de toros lidiés en Arles pour les fêtes de Pâques. Une corrida d’une présentation et d’un jeu remarquable dont le triomphe fut matérialisé par la grâce de l’ultime toro de la course « Lastimoso » numéro 80, de 550 kilos, dévolu au tout jeune matador Andy Younes.

Lastimoso, Andy Younes, Arles 2018 (Photo Justine Messina)

Nouvelle grande temporada en 2019 initiée à Valencia, par les honneurs de la vuelta posthume pour « Horroroso », un exceptionnel « quinto bueno » pour lequel descendit des travées une pétition de grâce. Un toro qui fit preuve d’une grande bravoure face à la cavalerie, vif et incisif à la rencontre des banderilleros mais surtout extraordinaire de bravoure dans le dernier tiers, endurant et à la charge illimitée dans la muleta d’un Castella pléthorique, qui lui ravira les deux oreilles.

Horroroso, Sebastien Castella, Valencia 2019 (Photo Scp)

Dernièrement, c’est « Ingenioso »,  gracié en Arles qui fit honneur à son ganadero, qui lui-même fondait de grands espoirs en ce toro.

Juan Bautista, qui disait adieu aux pistes en ce 7 septembre 2019 ne pouvait rêver à pareil partenaire de bal. Marqué du fer de Vegahermosa, Ingenioso était une véritable machine à charger. Prompt, mordant, d’abord face au lancier, puis insatiable, brave et noble dans la toile de l’arlésien qui avouera plus tard n’avoir jamais connu aussi grand toro en plus de vingt ans de carrière. Le museau sans cesse au ras du sable, Ingenioso offrit un nombre incalculable d’embestidas marquées du sceau de la noblesse, et de la caste toujours, sans rechigner, jamais.

Ingenioso, Juan Bautista, Arles 2019 (Photo P.Charmasson)

Qui aurait cru que le magnifique Ingenioso , aujourd’hui au paradis des toros, soit le dernier à rendre hommage à ce grand ganadero, ce grand homme de toro que fut Borja Domecq, fondateur et façonneur de l’une des plus importantes ganaderias de ses vingt dernières années.

Ce 23 mars 2020, Francisco de Borja Domecq Solis s’en est allé rejoindre l’Eden des plus grands créateurs de toros que la Fiesta Brava ait connu. Qu’il repose en paix et que son œuvre, immense soit poursuivie …

Que en paz descanse…

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