Il a 17 ans. Seulement. Peut-être rêve-t-il, comme une artiste disparue, d’avoir déjà 18 ans. Mais pour l’heure, il n’en a que 17.

L’âge de ceux qui rêvent encore. L’âge de l’innocence.

Ce vendredi 30 mai, sous le ciel pesant de Madrid, Marco Pérez est entré seul sur le sable de Las Ventas pour affronter six fauves, avec la gravité d’un homme-enfant qui savait qu’il jouait là bien plus qu’une simple tarde : il jouait sa vérité.

À peine avait-il repris son souffle, après un paseo que l’on imagine long comme un jour sans fin, que l’hostilité d’une minorité bruyante s’imposa comme un couperet. On le jugea comme une figura. On ne lui pardonna rien. Pas même ses 17 ans.

Disons-le sans détour, sans retenue, et qu’on me pardonne les mots : ce Tendido 7 est devenu, en grande partie, « une belle frange de connards ».

Comment peut-on faire preuve d’un tel antagonisme face à l’abandon de ce corps à peine sorti de l’adolescence, face à des novillos qui seraient des toros ailleurs ?

Comment peut-on venir aux arènes avec la seule intention de casser, de démonter ? Ne rien savourer. Brailler, insulter, vilipender.

Quel degré d’afición faut-il avoir pour s’imaginer détenir la vérité absolue — ou pire encore : croire incarner l’absolue vérité ?

Comment se prétendre aficionado averti quand, d’emblée, on fait preuve d’un aveuglement total, d’une incapacité de discernement ?

Comment priver de reconnaissance et de respect un môme de 17 ans venu relever un défi colossal ?

Ce Tendido 7 est devenu un bourbier où s’enfonce une poignée d’ogres, de misérables aigris madrilènes – portés notamment par un degré d’alcoolémie à des années lumières de la décence-, renforcés par quelques “aficionados” français venus se donner un genre.

Aller aux arènes avec l’envie de ne prendre aucun plaisir et l’intention de gâcher la fête, c’est un peu comme se rendre à un premier rendez-vous en puant de la gueule.

Les trois premiers novillos furent des épreuves. Malsains, vides ou dangereux. Sans fond, sans son. Sans pitié, eux non plus.

L’épée ne répondit pas, le silence tomba, lourd, et la solitude s’intensifia.

Mais Marco Pérez ne céda pas. Il demeura. Torse bombé. Digne. Présent.

Puis vint le cinquième. “Boquiflojo”. Un Fuente Ymbro de don Ricardo, plus encasté, plus vibrant.

Marco alla l’attendre, comme il le fit aussi pour les 4e et 6e, à portagayola, à genoux, face aux abysses.

Il brinda au public. Et alors, quelque chose brisa le plafond de verre de Las Ventas.

D’un coup de poignet, d’une série au naturel, d’un regard vers le ciel, il fit taire la haine.

Ce fut une faena de révolte et de sang, d’émotion à mains nues, à corps perdu.

Deux fois, tel une poupée de chiffon, il fut projeté dans le ciel venteño par ce “Boquiflojo”, puis jeté au sol.

Deux fois, il se releva, le visage d’un enfant devenu homme.

L’acier, encore une fois, lui échappa.

Mais le public — le vrai —, épris de reconnaissance et de ce respect évanoui, se leva pour lui. Vuelta al ruedo.

Puis, après des « torero, torero », un silence d’admiration s’installa, tandis que le jeune poupon salmantin attendait, les genoux dans le sable et le corps lacéré de coups, l’arrivée du dernier.

Le dernier, un du Juli, noble mais au moral échancré, fut un adieu digne, au bout de l’épuisement.

L’ombre et la lumière d’un combat déjà livré. Quand les sifflets se turent, l’ovation monta.

Elle fut majestueuse. Et méritée.

J’aurais voulu, comme beaucoup, que ces statistiques — éminemment contre nature lorsqu’il s’agit profondément de toreo — viennent gonfler le résultat.

Mais Marco Pérez venait de livrer l’exacte réponse à mes attentes : une entrega totale, avec les forces et les faiblesses d’un novillero. D’un gamin torero.

Les clameurs se turent un instant. Et dans les gradins, certains baissèrent les yeux, se murmurant, pour quelques-uns honteusement :

« Qu’avais-je fait, moi, à 17 ans ? »

Marco Pérez, lui, venait de tuer six novillos à Madrid.

Devant 23 000 spectateurs.

À 17 ans.

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