L’hiver enfin classé comme de l’histoire ancienne, le printemps et les belles journées ensoleillées pointent le bout de leur nez. Avec elles devraient fleurir les premières férias de la temporada. Les premiers triomphes, les premières ovations. Retrouver les arènes et la chaleur de l’aficion. Il n’en est rien. La Feria de Abril de Séville a définitivement coulé au fond du Guadalquivir et les premières ferias françaises sont sur le fil du rasoir…

Alors pour tuer le vers, rien de mieux que le grand air du campo camarguais. Avec l’envie de mettre à l’honneur l’encaste Santa Coloma, que quelques ganaderos français élèvent avec passion et détermination.

Notre première étape nous mène vers l’élevage le plus récemment fondé : La Golosina. Propriété de Jean-Baptiste Jalabert.

Un soleil de plomb, idéal et bienvenu, nous accompagne durant toute la visite qui débute par l’enclos où paissent les génitrices d’origine La Quinta débarquées il y a deux ans maintenant depuis Fuen La Higuera, la propriété de la famille Conradi. Une trentaine de vaches, certaines suivies de leur progéniture « recien nacido » et d’autres proches de mettre bas, certaines pour la première fois. 

« Toutes les vaches de La Golosina que vous voyez ici ont fait ou vont faire leur premier veau ici à La Chassagne »…

Un jeune ganadero pas peu fier de la chance offerte par la famille Conradi de lui avoir exceptionnellement cédé quelques-unes des meilleures vaches de l’élevage afin que naisse ici en Camargue l’histoire de La Golosina. 

« J’avais envie de faire autre chose de ce qui se fait en majorité. Nous avons déjà deux fers d’origine Domecq (Daniel Ruiz) et je voulais en parallèle élever du Santa Coloma, ce qui n’est pas habituel que ce soit en France ou en Espagne. J’ai toujours eu un feeling particulier avec l’encaste Santa Coloma et je m’étais dit que si je devais un jour fonder un élevage ce serait avec ce sang là. Généralement, chez La Quinta on ne vend pas ses produits à d’autres éleveurs dans le but que se créer d’autres ganaderias. Les sementals peuvent éventuellement être prêtés dans des élevages de même souche comme par exemple Rehuelga, mais pas vendus. » 

La ganaderia La Quinta, et donc par succession celle de La Golosina, puise ses origines dans la branche Buendia. Celle-ci est aujourd’hui la plus représentée de toutes les rames issues de la souche Santa Coloma.

L’exception qui confirme la règle repose notamment et surtout sur la forte amitié qui lie Jean-Baptiste Jalabert et la famille ganadera andalouse. Une histoire d’amour renforcée par les rencontres entre le maestro arlésien et les toros aux pelages majoritairement cardeños. Le torero d’Arles les a affronté à vingt-cinq reprises, coupés quinze oreilles, croisé la route de l’excellent “Palomito” en 2017 à Mont-de-Marsan mais surtout de “Golosino” qui le 13 juin 2013 à Istres avait obtenu la grâce.

J’ai beaucoup d’espoirs. D’abord car Golosino est un très grand toro

« Les premiers produits de Golosino pour la Golosina sont nés et vont naitre cette année. J’ai beaucoup d’espoirs. D’abord car Golosino est un très grand toro et puis parce que j’ai une grande confiance aux mères qui ont rejoint La Chassagne il y a deux ans. Toutes les vaches qui sont ici on été testées et approuvées comme excellente par le ganadero de La Quinta. J’en ai choisi certaines par vidéo, d’autres parce que je les avais tienté moi-même et il y en a même une qui a été approuvée par Morante de la Puebla… »

Golosino

Parmi les mères sélectionnées et débarquées sur le sol camarguais, plusieurs sont notamment les sœurs de « Molinero », premier toro du seul contre six de Juan Bautista le 4 juin 2017 à Nîmes. Un toro de grande qualité, noble et encasté auquel le torero arlésien avait ravi les deux oreilles. Autre gage de qualité. Mais Golosino n’est pas le seul semental en charge de la « cubrición » puisque le toro âgé aujourd’hui de douze ans partage cette tâche avec « Bolichero », un semental prêté par la famille Conradi à Jean-Baptiste Jalabert. 

Bolichero

« C’est un novillo de trois ans, qui est un peu plus petit de taille que Golosino mais qui vient d’une excellente famille et en qui les ganaderos de La Quinta ont une grande confiance. Les premières vaches arrivées à La Chassagne étaient en gestation mais n’avaient pas été couvertes par Golosino. Cette année une partie le sera, l’autre le sera par Bolichero qui retournera d’ailleurs chez La Quinta  dans le courant de l’année et un autre lot de vache fera le chemin inverse. Cela va nous permettre de pouvoir travailler selon plusieurs axes et ainsi orienter la sélection en fonction des résultats que vont donner les produits de l’un ou de l’autre ».

Au cours de l’année 2020, douze naissances ont eu lieu ici en Camargue. Huit mâles et quatre femelles. Agées de tout juste un an, celles-ci sont encore trop jeunes pour passer à l’épreuve de la tienta. Une étape des plus importantes attendue avec impatience par le jeune ganadero et qui devrait avoir lieu au printemps 2022.

Nous ne sommes qu’au début de La Golosina et nous devons faire des choix fondamentaux, ne pas nous tromper 

« La tienta c’est là pour ainsi dire, que tout se joue après des mois, des années de travail, d’ambition et de doutes. C’est à ce moment précis que l’on voit si nos choix de sélection, tant du père que de la mère, ont été les bons. J’ai beaucoup d’espoirs car chez La Quinta la sélection est très rigoureuse. D’ailleurs je souhaite que les ganaderos fassent le déplacement à l’occasion de la première tienta. Moi j’ai bien entendu mon œil et mon vécu de matador de toros qui va être un point fort. Parfois les ganaderos voient des choses que nous toreros ne voyons pas, et vice versa c’est pour cela que leur présence ce jour-là est primordiale pour moi et pour la ganaderia. Nous ne sommes qu’au début de La Golosina et nous devons faire des choix fondamentaux, ne pas nous tromper ».

Un événement crucial et un véritable départ pour la ganaderia. Le comportement et le jeu donné par les vaches seront bien entendu fondamentaux au moment de réaliser la sélection, mais Jean-Baptiste souhaite également laisser une grande importance à la présentation et au type de l’élevage. Un rendez-vous d’exception qui pourrait pousser le maestro retiré des pistes à reprendre les instruments qui ont fait son succès durant plus de vingt ans sur le sable des ruedos …

« Toréer la première vache de La Golosina, bien entendu que c’est quelque chose qui me trotte car cela serait très significatif et qui j’en suis sur sera un très bon moment. Pour autant, toréer ne me manque pas du tout, d’ailleurs je crois que depuis ma despedida je n’ai touché que trois ou quatre fois les trastos… »

Dans le vaste cercado d’à côté, paissent au cœur de très verts pâturages et au beau milieu des novillos des deux autres fers de la maison, les huit machos d’origine Santa Coloma nés en 2020. Reconnaissables entre mille de par la variété chromatique de leurs robes, ces derniers pourraient être les premiers fers de lance de la ganaderia à la devise bleue et jaune à fouler le sable des arènes, d’ici 2023…

Une première sortie en public envisagée pour 2023

« Sortir les premiers novillos en 2023 c’est évidemment une chose à laquelle je pense, clairement. Le but serait d’abord de pouvoir sortir régulièrement et avec de bons résultats en novillada piquée. C’est évidemment un objectif mais huit novillos c’est très peu et on sait qu’il peut y avoir des animaux qui se battent, se blessent voire pire donc je croise les doigts pour qu’ils se tiennent tranquille encore deux ans. Une chose est sure, ce ne sera pas à Arles car cela engendrerait une pression supplémentaire pour une première sortie dans une arène de première catégorie ou l’erreur est moins pardonnée que dans une arène de troisième catégorie par exemple où il faudra de toute façon aller préparé et avec une présentation soignée et digne de ce nom. »

Une présentation en 2023, pourquoi pas, mais Jean-Baptiste sait également qu’il très certainement devoir trouver un futur semental parmi les très prochaines générations de becerros. 

Une façon de travailler, de penser et d’envisager l’avenir d’une ganaderia qui ressemble sans s’y méprendre à ce qu’avait entrepris Alvaro Conradi, réjoneador retiré des pistes, lorsque ce dernier avait pris les rênes de la ganaderia en 1988. Celui-ci avait alors engagé un travail de fond très précis et une profonde sélection se recentrant sur la caste et la présentation de ces toros afin de récupérer le type véritable des Buendia. Durant cette période Alvaro Conradi ne faisait lidier ses pupilles qu’en novilladas piquées avant, en 2003, de faire combattre six toros adultes dans la Monumental de Las Ventas. Depuis les toros de La Quinta sont poursuivis d’une véritable renommée et d’un certain standing puisque bons nombre de figuras n’ont pas hésité avec plus ou moins de succès à s’y mesurer. 

Souhaitons à cette toute jeune ganaderia et son propriétaire au moins tout autant de succès …

La visite s’achève après deux bonnes heures. Deux heures à recharger les batteries, dans le calme serein et apaisant du campo bravo de Camargue… 

Un grand merci à Jean-Baptiste de nous avoir accordé un peu de son temps et d’avoir répondu à toutes nos questions. ¡Volveremos ! ¡Seguro !

Propos recueillis et reportage photographique (ci-dessous) par Gregory Boyer et Pierrick Charmasson.

REPORTAGE PHOTOGRAPHIQUE

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