Reprendre les bonnes vieilles habitudes… Un doux euphémisme à l’heure où la phase 1 du déconfinement touche à sa fin. Vrai. Ne nous leurrons pas. Je ne voudrais pas passer pour le rabat-joie de service mais il semblerait que retrouver le chemin des arènes n’est pas pour très bientôt et il se dit ici et là que 2020 devrait définitivement rimer avec « ronge ton frein ».

Le manque de toro se fait sentir et ce matin je me décide à rendre visite aux frères Tardieu. Accueilli par Loulou avec un « alors ce confinement »… Souriant, à la fois fataliste et mesuré, avec ce brin d’espoir qui tient tête au pessimisme. « L’année est d’ores et déjà noire, c’est une catastrophe, dont il va falloir se remettre, pour ceux qui le pourront » peste, sobrement et dignement Loulou.

Cette dignité est une chose qui m’a toujours frappé chez la majorité des éleveurs que j’ai eu la chance de rencontrer. J’aime ces gens, vraiment. Ces hommes et ses femmes qui ont élu la terre comme nourrice. Chez eux, chaque mot à un sens, chaque phrase dessinant le quotidien campero est un morceau de savoir dont il faut se nourrir sans modération. Ces gens de la terre qui, été comme hiver, donnent corps et âmes pour cet animal sacré qu’est le toro brave. Par grand vent, sous la pluie ou sous un soleil de plomb, il faut chaque jour « cuider » les troupes et abreuver ses rêves. Avec la passion, la vraie, pour seul bâton de pèlerin.

Depuis longtemps, mon imaginaire a renommé le Chemin des Bruns, sur la commune de Mas-Thibert, le « Chemin des Braves Gens » car si le toro brave abonde les prairies alentours, il semblerait que la gentillesse de ceux qui les élèvent y eut été distillée à profusion. Ce petit chemin communal dessert trois familles ganaderas. Et nombre de braves gens. En premier, sur la droite le Mas du Vieux Capeau chez Rolland et Rafael Durand. Un peu plus loin sur la gauche, le Mas d’Icard, fief de la famille Gallon et puis enfin en empruntant la Route des Costières, les Tardieu dans les propriétés familiales de la Cour des Bœufs et du Mas des Bruns.

Comme tous leurs confrères ganaderos, les Tardieu sont à l’arrêt forcé. Côté piste en tout cas, car côté coulisse, le travail quotidien n’est jamais paralysé. Prophylaxies, marquage, soins en tout genre… tout suit son cours comme si de rien n’était. Chaque jour, il faut « arriber » le cheptel en foin de Crau et en compléments. Une véritable rente bien qui sera bien difficile à compenser…

« En temps normal, il est déjà difficile de vendre des toros. D’abord parce qu’il y a énormément de bêtes sur le marché et que celui-ci n’est pas très large pour nous ganaderos français. Avant beaucoup de toros passaient dans les corridas à la mode portugaise mais il y en a là aussi de moins en moins » m’explique, Loulou, toujours très mesuré dans ses propos.

L’an passé les toros de la Cour des Bœufs ont été lidiés en Espagne, en corrida, précisément à Santa Cruz de Mudela et Honrubia, pour des résultats probants. Le 31 mai à Santa Cruz de Mudela, les pupilles à la devise violette, blanche et noir ont permis le triomphe du sévillan Esau Fernandez avec trois oreilles. Enfin le 20 septembre à Honrubia près de Cuenca, les toros des frères Tardieu ont offert un grand jeu, permettant le triomphe des matadors de toros Filiberto et … Esau Fernandez avec respectivement deux et quatre oreilles en poche.

Cette année, ce ne sont pas moins de trente toros qui devaient rejoindre l’Espagne ou un promoteur de spectacles taurins, situé dans a région de Madrid, les attendaient afin de répartir le lot en deux ou trois corridas de toros, le reste étant réservé pour les spectacles de rue. La grave crise sanitaire installée depuis, ces toros sont restés à quai, certains pour toujours, ayant atteint ou en passe d’atteindre l’âge révolu des six ans. « En plus de cette crise, les abattoirs ne nous prennent plus de toros, du fait que les restaurant soient fermés, la marchandise ne s’écoule pas. Chaque jour le fossé financier se creuse un peu plus » peste Loulou avant d’ajouter « pour le moment on ne peut pas faire de fiestas camperas, les gens craignent de se rassembler, et les clubs taurins sont frileux et nous le comprenons. En espérant que la situation se décante avant la fin de l’année et qu’à l’avenir les organisateurs pensent d’avantage aux ganaderos locaux ».

Hormis la trentaine de toros qui avaient trouvé preneur de l’autre côté des Pyrénées, un toro avait été retenu pour la Corrida de Competencia de Saint-Martin de Crau, déplacée au 3 octobre prochain, et un novillo pour la Feria de Pâques en Arles…

En attendant des jours meilleurs, la vie suit son cours du côté de la Cour des Bœufs, avec passion, courage, dignité et espérance. Après la pluie viendra le beau temps… Ojalá !

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